Voici une petite nouvelle que je publie avec plaisir, puisqu'elle émane d'une personne qui tenait à remercier des policiers :
![Gare Montparnasse]()
"29 septembre 1959 : aux environs de 16 heures 30, en gare de Montparnasse, le train express en provenance de Brest, Landerneau, Landivisiau, Morlaix, Plouaret, Guingamp, St-Brieuc, Lamballe, Rennes, Vitré, Laval et Le Mans entre en gare.
Je descend du train, la tête et l'esprit encore à Kerlaouenan, parmi les vaches et le tracteur ! Ma valise de la main gauche, je suis la foule des voyageurs dont je fait partie et espère voir ma mère en tête du convoi, qui, comme chaque année à même époque doit m'attendre. Je me rends vers la salle des pas perdus, je ne vois pas maman. Près de l'escalier qui amène à la sortie de la gare, je pose ma valise et m'assied sur elle en pensant fort que maman a un peu de retard et qu'elle va arriver sous peu. Je regarde le va-et-vient des voyageurs pour dira-t-on "tuer le temps" et j'entends les diverses annonces qui sortent des hauts-parleurs, quand l'une d'elles attire mon attention : "Monsieur Moysan est demandé au bureau des informations, je répète, monsieur Moysan !" Je souris et ce nom breton qui arrive à mes petites oreilles me réconforte et me voilà pour quelques minutes "transféré"à Kerlaouenan, mais la réalité me revient brutalement : je suis en gare de Montparnasse et toujours pas de maman ! Je commence à me poser des questions. J'ai une escarbille dans l'oeil qui me gêne terriblement. L'angoisse et l'inquiétude commencent à me gagner... Que faire ? Je ne sais pas... Maintenant, ça devient préoccupant ! Je me lève, saisis ma valise de la main gauche, puis je vais... où ? Je n'en sais rien, quand je sens le tapotement d'une main sur mon épaule gauche... Je me retourne : un couple de grandes personnes est là, et la dame très gentiment et rassurante m'apostrophe : "Où vas-tu mon petit ? Tu attends quelqu'un ?" - "Oui, madame, ma maman qui devait venir me chercher... ça fait longtemps et elle n'est toujours pas là ..." - "Ne t'en fais pas, nous allons t'accompagner chez les gendarmes... Ils t'aideront et retrouveront ta maman !"
En réalité, nous sommes allés au poste de police de la gare. La police, les gendarmes, dans ma petite tête, ils sont là bien sûr pour arrêter les voleurs, les "méchants", aussi je suis à tort un peu surpris et mon coeur se met à battre ; je n'ai pas été"méchant", ni n'ai commis aucun larçin. L'uniforme, en ce temps-là faisait penser à des gens sévères, droits, qui ne plaisantaient pas... Où celui qui commettait le moindre écart allait en prison "au pain sec et à l'eau"... D'ailleurs, ne dit-on pas de nos jours que pour les conducteurs qui ont le pied lourd sur l'accélérateur, "la peur de l'uniforme est un peu le début de la sagesse ?" - Ca, je le crois bien volontiers !
Tous trois arrivont donc à l'antenne de police de la gare. Nous sommes accueillis par un policier en tenue qui nous dirige vers le bureau d'un responsable, le commissaire ou officier de permanence de la nuit, car oui, la nuit était arrivée. Le couple de grandes personnes expliquent brièvement la situation puis se retirent sans oublier de me réconforter en me disant que j'étais entre de bonnes mains et que "maman va arriver bientôt" ! Le commissaire ou l'officier de permanence était un homme de taille moyenne, mais de forte corpulence, chauve, chaussé de lunettes. Il me met à l'aise ayant peut-être perçu mon anxiété et me demande avec un léger accent méridional, rocailleux, mon nom, d'où j'arrive... Je le renseigne donc sur mon identité et mon âge :
"J'arrive de Landerneau, monsieur, et ma maman devait m'attendre à l'arrivée, voilà..."
"Mais où habites-tu mon grand ?"
"A Yerres, monsieur, c'est en Seine et Oise."
"Chez ta maman, avez-vous le téléphone ?"
"Non monsieur, seulement des voisins, mais nous, nous ne l'avons pas..."
"Comment s'appelle-t-il ce voisin ?"
"Monsieur PLAUD, PLAUD."
Monsieur PLAUD habite à 200 mètres de chez nous sur l'avenue du Général Leclerc à YERRES, de nos jours dans le 91 (Essonne) et il est boucher grossiste de profession et son atelier ou "laboratoire" jouxte sa demeure principale. Le commissaire ou officier de permanence prend le téléphone en bakélite noire et à cadran, compose le numéro à sept chiffres qui, je me souviens, commençait par 922... une minute d'attente, puis : "Allo, monsieur PLAUD, à YERRES ? Bonsoir, monsieur PLAUD, ici le poste de police de la gare Montparnasse ! Oui, c'est bien ça, le poste de police de la gare Montparnasse... Je me permets de vous appeler parce que nous avons ici le jeune Gilbert GRUDA qui habite près de chez vous, au chemin des Longaines, à la villa "Lulu"..."
Le commissaire met sa main droite sur le combiné et me demande : "M. PLAUD demande si tu n'es pas le petit-fils de M. BABIN ?" - "Oui, monsieur, c'est moi " dis-je avec une inflexion de soulagement dans la voix. "C'est bien lui, M. PLAUD, il est avec nous et attend sa maman à notre antenne de la gare Montparnasse. Elle devait normalement venir le chercher à l'arrivée du train en provenance de Brest, mais elle n'est pas là..."
"Monsieur PLAUD, pourrais-je vous demander un petit service ? ................ C'est ce que je voulais vous demander, écoutez, je vous remercie, vous avez anticipé ma demande. Je me permettrai de vous rappeler dans une demi-heure... Merci encore et à tout à l'heure."
"Ecoutes moi jeune homme, ça y est, monsieur PLAUD va aller prévenir ta maman qui va venir te chercher, tout s'arrange donc. Mais, dis-moi, qu'est ce que tu as à l'oeil ? Tu t'es blessé ?"
"C'est une escarbille qu'il a du prendre, patron, car depuis Brest, c'est la vapeur jusqu'au Mans " répond un policier en tenue dont j'ai retenu le nom : LE CALVEZ !
"Oui, je vois. Dis-donc, tu peux le faire amener à la pharmacie en bas à droite, ils vont lui retirer ça"
"Bien, nous y allons de suite ! Tu me suis mon gars ; tu peux laisser ta valise ici, ça ne risque rien !"
Nous nous rendons donc à la pharmacie où le pharmacien, avec une poire en caoutchouc aspire l'escarbille en question et immédiatement, je me sens mieux. Nous remontons au poste de police de la gare où le commissaire m'annonce : "Ca y est, ta maman est prévenue et sera ici dans une heure." Intérieurement, je pousse un "ouf" de soulagement. Le commissaire, devant s'absenter momentanément, demande au policier LE CALVEZ de me conduire dans leur salle de repos où un jus de fruit "pshitt citron" m'est proposé. L'inquiétude et l'angoisse disparues, je parle avec les policiers en tenue et je demande à l'agent LE CALVEZ : "Vous êtes breton, monsieur ?" - "Oui, exact, je suis d'un petit village qui se situe entre Guingamp et Plouaret." Et moi, aussitôt, je lui parle de Kerlaouenan, de la moisson qui a été dure cette année à cause d'une météo trop changeante, du ramassage des pommes de terre... Je lui dis aussi que je conduis le tracteur et que je passe le griffon avec après la moisson. Je me souviens lui avoir précisé que je ne conduisais pas le tracteur sur la route !
"Ca, c'est bien" dit un des policiers, originaire de Lamballe, si j'ai bonne mémoire. "Tu es encore trop jeune, mais dès que tu auras 14 ans, tu seras autorisé."
Quelle patience ces policiers ont-ils déployée àécouter ce moulin à paroles que j'étais !
La porte du bureau du commissaire s'ouvre et je vois ma maman. Nous nous embrassons très fort. "Pourtant, tante Catherine, dans sa dernière lettre, écrivait que tu ne rentrais que demain... J'ai du confondre ou nous avons confondu tous les deux..." Puis, se tournant vers le commissaire : "Monsieur, toutes mes excuses, et sincèrement un grand merci pour votre aide et votre dévouement, merci, merci !" - "Mais, madame, nous sommes là pour ça... Ce fut même un plaisir de l'avoir parmi nous."
Aujourd'hui, nous sommes en 2012 et j'ai 64 ans lorsque j'écris ces lignes. Le temps a passé inexorablement et, quelquefois, avec ma mère, du temps de son vivant, nous évoquions cette "aventure" de fin septembre 1958, avec tendresse, voire nostalgie... "Tu te souviens, me disait ma maman, le monsieur qui m'a dit " Mais madame, nous sommes là pour ça !" Quelle gentillesse, vraiment des gens biens ! On dit : la police, ceci... la police, celà...Mais nous sommes contents de la trouver ! Oui, j'y pense quelquefois et je me rappelle le policier LE CALVEZ, je précise bien "le policier", et non "le flic", mot que je me refuse à dire en souvenir de ce jour de septembre 1958 ! Bien sûr, il m'est arrivé de prendre des PV à cause d'un mauvais stationnement de ma voiture et comme tout bon franchouillard qui se respecte, j'ai râlé, bougonné entre mes dents à l'encontre de la "maréchaussée", mais toujours, il y a eu un retour en arrière dans mon esprit sur ce jour et cela mettait fin à une mauvaise humeur passagère. La police, on est quand même bien content de la trouver ! Et toujours raisonnera en moi cette phrase "Mais madame, nous sommes là pour ça !"
L'heure était venue que j'écrive ce chapitre, ô combien modeste sur ma vie, mais une belle histoire quand même et en plus vécue. Je formule un simple voeu pieux : que M. LE CALVEZ, qui est certainement à la retraite, soit encore de ce monde et que le hasard bienveillant transporte ce souvenir jusqu'à lui. Sinon, que du ciel étoilé, lui et le commissaire présent et acteur principal, aient fait là-haut connaissance avec monsieur PLAUD et qu'ils puissent me lire. Qui sait ? Souvenir merveilleux d'une époque révolue ! Merci à tous !!! Merci à vous, monsieur le commissaire, officier de permanence, merci monsieur LE CALVEZ, merci aux autres policiers de permanence ce soir-làà la gare Montparnasse, merci monsieur PLAUD, merci au couple "âgé" anonyme qui s'est penché sur moi aussi ! Le temps a passé, la roue, comme nous disons, a tourné, certes, mais je ne vous ai jamais oubliés."
Gilbert GRUDA - LOME (Togo) - le 30 décembre 2012.